A Paris, le minibus de l’association Gaia au secours des toxicomanes

Ils arrivent seuls ou par petit groupe, disent bonjour aux habitués et attendent leur tour avec impatience: chaque jour, le minibus de l’association Gaia accueille à Paris des dizaines d’usagers de drogue, venus chercher leur traitement de substitution aux opiacés.

Issue de l’ONG Médecins du Monde, Gaia va bientôt prendre en charge la salle de consommation de drogue qui ouvrira près de la gare du Nord, à Paris.

Dans la capitale, elle gère déjà deux programmes à destination des toxicomanes: une unité mobile d’échange de seringues qui reçoit plus de 2.000 personnes par an, et le Centre de soins, d’accueil et de prévention en addictologie (CSAPA), installé dans un minibus qui accueille annuellement environ 800 personnes en traitement de substitution à l’héroïne.

Sur le faubourg longeant la gare de l’Est, les usagers patientent chaque début d’après-midi devant le petit bus blanc. Beaucoup se connaissent et s’interpellent. Mais la tension peut monter très vite, quand certains sont en manque.

« J’ai trop mal », hurle en anglais Daniel, SDF alcoolisé venu avec son chien. Les quatre membres de Gaia, dont deux infirmières, désamorcent rapidement la crise et le font monter dans le minibus. Les cas de violence sont rares, « on sait y faire face », explique la directrice de Gaia-Paris, Elisabeth Avril.

« On fait ça depuis 20 ans, on pourrait nous reconnaître quelques compétences en la matière », insiste ce médecin généraliste. Défendant « un travail en collaboration » avec les toxicomanes, elle explique qu’il faut « comprendre comment ils en sont arrivés là. On ne juge pas, même si on ne dit jamais non plus que +la drogue c’est bien+ ».

Beaucoup viennent chercher leur traitement depuis plusieurs années, comme Michelle, petite femme ronde, dans le programme depuis trois ans. Chaque jour, elle entre dans la petite pièce au fond du véhicule, à l’abri des regards, où l’infirmière, avec son numéro d’admission, retrouve sur l’ordinateur la posologie établie par un médecin.

Un traitement à consommer sur place

Michelle reçoit son traitement – de la méthadone, médicament généralement administré -, directement dans un verre qu’elle doit boire sur place. S’il s’agit de cachets de Subutex, l’usager les avale aussi devant l’infirmière, pour éviter tout trafic, explique Thomas Dusouchet, pharmacien et coordinateur du programme. Gaia fournit aussi seringues stériles, préservatifs ou lingettes désinfectantes à ceux qui le demandent.

Le traitement est prévu pour 24 heures. Rater une prise n’est pas dangereux, mais en cas d’absence de plus de deux jours, la posologie est réduite, car « on peut penser que l’usager a consommé quelque chose d’autre », ajoute-t-il.

Marco, mince jeune homme à lunettes, vient depuis trois mois Porte de la Chapelle, dans le nord de Paris, deuxième étape du bus. « Ca m’a donné un équilibre. Avant je dépensais jusqu’à 100 euros par jour pour acheter des produits », explique cet ancien salarié d’une salle de concert parisienne, qui a perdu son emploi « à cause de la drogue » mais a « la chance d’avoir un appartement ».

Environ 20% des usagers du bus ont un salaire et un logement. Les autres vivent en centre d’hébergement ou dans la rue, comme Djamel, 48 ans. Visage couvert d’ecchymoses, il ne sait plus depuis quand il vient chez Gaia, mais « sans eux, je ferais n’importe quoi », dit-il. Il avoue continuer quelque fois à « faire des shoots ».

Alcool, crack, « La polyconsommation est une réalité. Nos équipes sont vigilantes au risque de surdosage. Si on a le sentiment que l’usager a déjà consommé, on réduit le traitement », explique Thomas Dusouchet.

« Consommer de la méthadone réduit la prise de risques, notamment par injection, et permet d’établir un lien avec des professionnels. C’est une première marche vers les soins » insiste-t-il.

Mais « ce sont des parcours chaotiques. Certains sortent du programme et puis on les retrouve quelques années plus tard », reconnaît Elisabeth Avril.

Haïti victime de “la pornographie humanitaire”

Télévision | “Assistance mortelle”, un documentaire rageur, mardi sur Arte, pointe les dérives de l’aide internationale après le séisme en Haïti. Le directeur général de Médecins du monde réagit.

Le 13/04/2013 à 00h00 – Mis à jour le 15/04/2013 à 15h07
Propos recueillis par François EkchajzerTélérama n° 3300

 Réunion entre Jean-Max Bellerive (Premier Ministre), René Préval (Président) et Hillary Clinton. © Velvet Films
Réunion entre Jean-Max Bellerive (Premier Ministre), René Préval (Président) et Hillary Clinton. © Velvet Films

Trois ans après le tremblement de terre qui frappa Haïti en janvier 2010, le cinéaste haïtien Raoul Peck dresse un bilan accusateur de l’aide internationale. Directeur général de Médecins du monde, Pierre Salignon réagit à ce documentaire plein de colère.

Que pensez-vous du documentaire “Assistance mortelle” ?

C’est un film très dense, compact comme un coup de poing et d’une grande force émotionnelle. Un documentaire à charge et volontairement polémique, qui n’hésite pas à parler de « pornographie humanitaire », traduisant une perception présente en Haïti et portée ici par Raoul Peck, un témoin privilégié de la scène politique haïtienne et de ses dérives.

C’est aussi un appel salutaire à refonder le système de l’aide pour le rendre respectueux des attentes de ceux qui en bénéficient. Une dénonciation du contournement de l’Etat haïtien par l’aide au développement et à la reconstruction, qui fait des Haïtiens des assistés sans pouvoir de décision, ni véritable pouvoir d’influence.

Prôneriez-vous pour autant une distribution directe de l’aide à Haïti ?

Sur le principe, Raoul Peck a raison de considérer que l’argent devrait être versé à l’Etat haïtien. Sur le terrain, c’est un peu plus compliqué. Oui, ce sont les communautés qui devraient prendre leur destin en main ; et ce discours, Médecins du monde le tient aussi. Mais est-ce vraiment possible, quand les capacités de cet Etat sont réduites à néant ou presque ? Des milliers de fonctionnaires ont péri dans le séisme et tous les ministères, sauf un, ont été mis à terre.

D’un autre côté, ça ne justifie pas qu’on en fasse un argument pour écarter, comme on l’a fait, les Haïtiens dès les premières réunions de coordination, qui se sont tenues en anglais. Ni pour se garder de verser les milliards promis par les bailleurs internationaux, faute d’un Etat fort.

Où en est aujourd’hui Haïti ?

Au milieu du gué, comme le montre le film, entre promesses et reconstruction, entre révolte et lassitude. Les ­Haïtiens n’attendent plus après l’aide internationale. Ils reconstruisent les ­bidonvilles et se débrouillent comme ils l’ont toujours fait, en pratiquant le système D. Mais la crise haïtienne est l’une de celles qui ont donné lieu au plus grand nombre d’évaluations et dont on a le plus de leçons à tirer. A commencer par la nécessité de faire de chaque Etat frappé par une catastrophe un interlocuteur obligé de l’aide internationale.

«La lutte contre l’exclusion est un plus pour tout le monde»

Thierry Brigaud, le président de Médecins du Monde, est à Angoulême vendredi pour les Universités d’automne de l’ONG. Pour travailler sur une nouvelle forme de militantisme.

Médecin du travail au CHU de Montpellier, Thierry Brigaud a pris la tête de Médecins du Monde en juin dernier. 	Repro CL

Médecin du travail au CHU de Montpellier, Thierry Brigaud a pris la tête de Médecins du Monde en juin dernier. Repro CL

Ils seront une petite centaine, à partir de demain et jusqu’à dimanche, à se retrouver à l’hôtel Mercure pour les Universités d’automne de Médecins du Monde. Un temps de réflexion organisé cette année par la délégation du Poitou-Charentes et destinée aux cadres dirigeants, délégations régionales, coordinateurs internationaux et administrateurs de l’ONG. Questions à Thierry Brigaud, nouveau président de Médecins du Monde.

Quelles thématiques allez-vous aborder ?

Thierry Brigaud. On va réfléchir à la façon d’intervenir autrement, en accentuant davantage le travail avec les partenaires, les bénéficiaires, mais aussi les autorités de santé, que ce soit sur des urgences ou des actions à long terme. L’idée est de nous intégrer dans un tissu social. C’est une balance entre la sécurité de nos équipes et le travail réalisé, l’objectif étant qu’il soit pérenne. Au Nord-Mali, on aide des Maliens déjà présents sur place, car il n’est pas possible d’envoyer un Français.

Cela est-il vrai en France ?

Oui, on gagne en efficacité quand les usagers participent aux projets. On teste, par exemple, des médiateurs santé pour faire le lien entre les Roms et notre système de santé. C’est comme ça qu’on arrive à travailler sur le planning familial, par exemple. A Angoulême, la grande réussite de l’équipe tient au partenariat mis en place avec les autres associations. On aimerait que ça fasse tache d’huile.

Vous êtes entré à Médecins du Monde en 1988, préoccupé par la montée de la précarité. Quel constat faites-vous, vingt-quatre ans plus tard ?

Je suis stupéfait de voir combien le phénomène s’est amplifié, alors qu’il existe des solutions. On sait par exemple que 10 % à 15 % des sans-abri ont des pathologies mentales. On a expérimenté des projets «housing first», qui consistent à proposer un toit en premier, avant d’entamer un travail social. Il ne faut pas faire les choses à l’envers.

23% de Français avouent renoncer à certains soins en raison de la crise. Les voyez-vous dans vos consultations ?

Pour l’instant, on les voit peu, car la CMU ou l’aide médicale d’Etat limitent la casse. Ce sont des gens qui diffèrent plutôt les soins d’optique ou d’appareillage auditif, mal remboursés par la Sécu. On voit un peu moins de 10 % de la population dans nos consultations. Mais on en a fait 40.000 cette année. Des gens font la queue et on voit désormais des mineurs isolés ou en bas âge avec leur famille. Il y a urgence à mettre en place une politique de lutte contre la pauvreté!

Vous plaidez pour une décriminalisation de l’usage des drogues. Marisol Touraine espère lancer des salles de consommation avant fin 2012…

C’est un de nos combats. Les salles de consommation permettent de tisser du lien social avec des usagers de drogue à haut risque, en voie de précarisation, mais aussi de réduire les risques d’infection. 60 % des usagers de drogue ont l’hépatite C. Sans compter que cet outil diminue les nuisances pour le voisinage. Si Marisol Touraine donne son feu vert, on ouvrira au moins une salle sur Paris dans un premier temps.

On entend de plus en plus de discours pointant les plus pauvres et les étrangers…

Ces discours de la peur me hérissent le poil. La lutte contre l’exclusion est un plus pour tout le monde. Quand certains prétendent que des gens viennent de l’autre bout du monde pour profiter de notre système de santé, c’est un mensonge. On le sait parce qu’on travaille ici et là-bas. Les villages choisissent au contraire ceux qui sont jeunes et en bonne santé, capables d’endurer un parcours migratoire dangereux pour ramener de l’argent. On dit qu’ils sont feignants ? Mais ils travaillent au noir et envoient plus d’argent dans leur pays d’origine que l’aide publique au développement !

La santé des enfants pauvres se dégrade

Le rapport 2012 de Médecins du monde alerte sur le nombre croissant de mineurs qui fréquentent les centres de soin de cette ONG.

Des bénévoles de l'association Médecins du monde avec une famille de Roms, en Seine-Saint-Denis,...

MIGUEL MEDINA / AFP

Des bénévoles de l’association Médecins du monde avec une famille de Roms, en Seine-Saint-Denis, en septembre 2011.

Alors que le seuil de pauvreté a franchi le seuil de 14 %, le nombre de personnes démunies qui n’ont pas les moyens de se soigner suit logiquement la même tendance. Dans son rapport annuel publié mardi 16 octobre, Médecins du monde (MDM) indique avoir, en 2011, proposé 40 000 consultations, soit 22 % de plus qu’en 2008, au début de la crise.

Des Français parmi les patients

« Nous recevons une grande majorité de migrants qui ne connaissent pas leurs droits, ou pour qui il est très compliqué d’effectuer les démarches administratives pour y accéder », commente Jean-François Corty, directeur des missions France de l’organisation. Mais tous ceux qui consultent à MDM ne sont pas étrangers. Depuis peu, les praticiens solidaires de l’association voient aussi une part de patients français, 8 % au dernier bilan. « Ce sont essentiellement des personnes trop “riches” pour profiter de la couverture maladie universelle mais trop pauvres pour se payer une mutuelle » , poursuit Jean-François Corty.

48 % d’enfants en plus en trois ans

Cette année, l’association s’inquiète tout particulièrement du nombre croissant d’enfants accueillis dans ses centres de soin. Ils étaient 2 800 en 2011, soit 48 % de plus qu’il y a trois ans. L’association met en cause des conditions de vie dégradées. En 2011, 12 % vivaient à la rue et 66 % étaient hébergés par un organisme ou vivaient dans des logements précaires. Plus de la moitié étaient âgés de moins de 7 ans. Par ailleurs, 89 % des enfants reçus pour la première fois par Médecins du monde l’an dernier ne disposaient d’aucun droit ouvert à l’assurance-maladie, alors même que la loi leur donne un accès inconditionnel aux soins.

L’insalubrité en première ligne

Gale, tuberculose ou rougeole : on voit resurgir des maladies d’un autre siècle, notamment dans les camps roms. Le saturnisme refait également surface, alors qu’il était plutôt en recul ces dernières années. Diarrhées et maladies digestives sont également fréquentes dans les familles qui n’ont pas accès à l’eau potable, et frappent en premier lieu les nourrissons. « À Marseille notamment, nous avons à plusieurs reprises vu des pronostics vitaux engagés chez des enfants en bas âge qui vivaient avec leurs parents sur le trottoir »,  s’indigne Jean-François Corty.

JEAN-BAPTISTE FRANÇOIS

« Se soigner est devenu un parcours du combattant pour les plus démunis »

Dr Jean-François Corty, directeur des missions France à Médecins du Monde, dresse un bilan alarmant de l’accès aux soins pour les plus démunis.

Mercredi 17 octobre se tient la Journée Internationale de refus de la misère. Quel bilan dressez-vous ?

Nous sommes en situation d’urgence sanitaire. Tous les indicateurs sont dans le rouge. Nous avons dressé un bilan annuel, qui soulève de nombreux problèmes. Nous constatons, de façon générale, une dégradation des conditions d’accès aux soins des plus démunis. La fréquentation des centres est en croissance constante et rapide. Se soigner est devenu un parcours du combattant pour les plus démunis. Plus de 98% d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté, et un tiers retarde ses soins. Un autre constat alarmant concerne les mineurs reçus dans nos centres : leur nombre a augmenté de 48 % depuis 2008. La loi leur garantit pourtant en principe un accès inconditionnel au système de soins.

La crise a t-elle empiré les choses ?

La crise économique impacte la précarité et augmente les besoins. Il y a d’ailleurs ce que l’on appelle les « nouveaux exclus », qui sont des citoyens Français, en situation de grande précarité. Trop riches pour obtenir la CMU (couverture de maladie universelle), et trop pauvres pour avoir une mutuelle. Le système de santé actuel est de moins en moins solidaire. Il y a de moins en moins de remboursements donc le reste à charge est de plus en plus conséquent. Cela a indéniablement un impact sur les dispositifs de santé publique. Continuer la lecture

Médecins du monde aux petits soins des précaires

EPORTAGE – Le centre parisien de Médecins du monde est débordé…

Le distributeur de tickets d’attente n’a plus de munitions. Preuve que le centre de santé parisien de Médecins du monde est débordé ce lundi, tout comme les autres jours de la semaine. «Rien qu’au premier semestre 2012, le nombre de personnes accueillies dans notre centre a progressé de 18%», constate le Dr Jean Nau, son responsable. Dans la salle d’attente bondée patientent beaucoup de jeunes, des couples avec enfants et des personnes âgées.

Des pathologies déjà avancées

Une population de plus en plus précaire, selon Jean Nau. «Il s’agit notamment de migrants d’Afrique subsaharienne, du Maghreb et des pays de l’Est, en situation régulière ou non. Nous accueillons aussi de plus en plus de mineurs», précise-t-il. «La plupart du temps, ils n’ont pas de couverture médicale, car les démarches pour accéder à la CMU (couverture médicale universelle) et à l’AME (aide médicale d’état) sont de plus en plus longues et difficiles», ajoute Barbara Ndadoma, assistante sociale du centre.

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