De l’importance du choix des mots

DU CHOIX DES MOTS
Février 2011
Roms, Manouches, Gitans, Tsiganes, Gens du Voyage… Et aussi Nomades, Romanichels… De qui parle-t-on ? Quels termes utiliser ?
La variété des appellations est le reflet de la diversité des populations concernées, ainsi que des représentations dont elles font l’objet dans les sociétés au sein desquelles elles vivent, selon les historiens, depuis plus de 600 ans.
Les institutions, nationales ou européennes, invoquant des raisons administratives, politiques, idéologiques, présument que des groupes sociaux et des communautés, au demeurant très diverses peuvent avoir des comportements identiques et/ou être confrontés aux mêmes difficultés, en raison de leur appartenance à une même entité générique (les Roms/les Tsiganes).
Termes génériques, vocabulaire des institutions
C’est au début du 19ème siècle que les savants commencent à regrouper diverses communautés réparties sur l’ensemble du territoire européen sous le terme générique de « Tsiganes » (Gypsies en anglais), selon l’idée que l’ensemble de ces groupes partagent une lointaine origine commune extra-européenne. Progressivement, cette approche est passée du langage politique au langage commun.
Il est aujourd’hui d’usage de distinguer trois ensembles principaux parmi les 10 millions de Tsiganes européens, suivant les noms que se donnent eux-mêmes les intéressés :
▪ les Roms (dits «Tsiganes orientaux »: Roumanie, Bulgarie, Hongrie, Slovaquie, Serbie,
Kosovo… : 85%
▪ les Sintés et Manouches « Tsiganes germaniques »: Est de la France, Allemagne, Autriche,
Bohême, Nord de l’Italie: 4%
▪ les Gitans et Kalés (« Tsiganes ibériques »: Espagne, Catalogne, Portugal…) : environ 10%.
Cette classification est bien entendu très schématique et ne doit pas masquer des réalités très diverses au sein même des grands groupes ainsi identifiés, voire à l’intérieur d’un même pays.
En Europe
La diversité des réalités historiques et socioculturelles des dits Tsiganes rend délicate toute tentative de simplification, et en premier lieu la question des termes génériques devant ou pouvant être employé.
De ce point de vue, la terminologie utilisée par le Conseil de l’Europe et les institutions européennes a considérablement varié depuis le début des années 1970 « Tziganes et autres nomades »(1969), « Populations d’origine nomade »’1981), « Tsiganes »(1993), « Roms (Tsiganes) »(1997), « Roms/Tsiganes »(2000), « Rom(s)/Tsiganes et Voyageurs »(2002), « Roms et Gens du voyage »(2004).
L’apparition du terme générique « Rom » en lieu et place de « Tsigane » est liée à l’émergence des mouvements associatifs promouvant la reconnaissance de l’identité et de l’histoire de ces groupes (1er congrès de l’Union romani internationale en 1971). Le même terme sert ainsi aujourd’hui à désigner à la fois l’ensemble (« les Roms » = « les Tsiganes ») et une de ses parties (les Roms = « Tsiganes orientaux »).
En France
La terminologie usuelle est actuellement source de confusion et d’amalgame dans le contexte français qui ne reconnaît pas les minorités.
« Gens du voyage », terme administratif, désigne l’ensemble des groupes ayant un mode de vie itinérant, ou perçu comme tel. Ce terme regroupe à la fois les différentes branches de l’ensemble rom/tsigane(Roms, Manouches, Gitans…), mais aussi d’autres populations. Les personnes, de nationalité française, ainsi regroupées, antérieurement classifiées comme « Nomades » (de 1912 à 1969), sont soumises à des règles juridiques particulières visant à les contrôler de façon renforcée: obligation de se présenter régulièrement au commissariat pour faire viser un carnet de circulation, stationnement exclusivement sur des aires d’accueil réservées (et en nombre insuffisant !), restriction du droit de vote…
« Roms » ou « Roms migrants » sont les termes couramment employés pour désigner des groupes de personnes en situation précaire, originaires de Roumanie, Bulgarie ou des pays d’ex-Yougoslavie, émigrées de ces pays depuis les années 1990.
Il s’agit là d’un usage abusif qui laisse à penser que tous les Roms sont en situation précaire ou appelés à y rester, ce qui n’est pas le cas, ou encore que tous les Roms de l’Est sont appelés à devenir migrants, alors que seule une minorité a fait le choix de la migration. D’autre part, Il est arrivé que des responsables politiques ou institutionnels, n’aient pas hésité à rapprocher les termes « Rom » et « délinquant ». De fait, « Rom » tend à devenir stigmatisant alors même qu’il devait aider à positiver l’identité de ces groupes lorsqu’il fut choisi comme terme générique en lieu et place de Tsigane (généralement péjoratif en Europe de l’Est)
On constate ainsi que les termes employés peuvent avoir une connotation positive ou négative selon le contexte historique et politique, qui varie lui-même dans le temps. En Europe occidentale, le terme Tsigane est généralement moins connoté que d’autres appellations (Gitans, Romanichel, Bohémien…) et peut même susciter l’enthousiasme lorsqu’il qualifie une musique ou une danse, tandis qu’il peut être utilisé comme une insulte, particulièrement en Europe centrale et orientale.
Alors que choisir ?
Le choix appartient avant tout aux intéressés qui, eux-mêmes, peuvent d’ailleurs s’auto-désigner de façon différente selon les circonstances et les interlocuteurs. Ainsi un même individu peut-il, selon les cas, se présenter comme Manouche, Voyageur, Tsigane, Gitan ou même Rom.
Il convient cependant de distinguer les appellations endogènes utilisées par les groupes pour s’auto-désigner : Gitans, Kalés, Sintis, Manouches, Roms, Tshurara, Travellers, Yéniches, Voyageurs, etc. et les appellations exogènes utilisées par ceux qui les entourent: Tsiganes, Bohémiens, Romanichels, Rabouins,Nomades, etc.
De plus, il ne faut pas perdre de vue qu’un endonyme peut devenir exonyme lorsqu’il sert à désigner par extension l’ensemble des groupes: ainsi des Manouches ou Voyageurs de France qui rejettent généralement l’étiquette « Rom » et lui préfèrent, quitte à devoir choisir un terme générique, celle de « Tsigane »…
A l’échelle européenne, l’expression Roms/Tsiganes est aujourd’hui communément admise. Jean-Pierre Liégeois, dans un ouvrage récent, justifie l’emploi du terme Tsigane : « moins entaché que d’autres de connotations péjoratives et dans la mesure où les communautés ainsi désignées n’ont pas de terme pour se désigner dans leur ensemble et dans la mesure où elles l’utilisent elles-mêmes sur le plan politique ».
Il convient finalement d’être attentif aux choix terminologiques et aux logiques qu’ils sous-tendent. Car aucun terme n’est neutre. Dire d’un individu « c’est un Rom » ou « c’est un Tsigane » procède d’une catégorisation a priori qui ne donne aucune information sur sa situation personnelle ou familiale, pas plus qu’elle ne permet d’en tirer des conclusions sur les actions à mener avec lui. A moins de vouloir transformer la catégorisation en discrimination.
de Michèle Mézard,
avec la participation d’Olivier Legros et Martin Olivera.
Bibliographie
● Glossaire du conseil de l’Europe, Jean-Pierre Liégeois – In Roms en Europe – Editions du Conseil de l’Europe, Janvier 2007.
● Introduction aux formes et raisons de la diversité rom roumaine, Martin Olivera – In Roms de Roumanie, la diversité méconnue – Etudes Tsiganes n°38, 2010.
● Les pouvoirs publics et la  »question rom » en Europe aujourd’hui, Perspectives de recherche pour une approche comparative, Olivier Legros (2009) – In Roms et Gens du Voyage : nouvelles perspectives de recherche (dir. Samuel Delépine) – Etudes tsiganes n° 39-40.
● Roms et Tsiganes, Jean-Pierre Liégeois – Ed La découverte- coll. Repères – n°530, 2009.
● Rroms migrants – Tsiganes hier, Rroms migrants aujourd’hui, Grégoire Cousin – Espacetemps.net, 8 avril 2009

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