Au-delà d’Aung San Suu Kyi…

Alors que le film de Luc Besson « The Lady » vient de sortir au cinéma, deux responsables de Médecins du Monde racontent la Birmanie moins connue du grand public, entre pauvreté, maladies et mobilisations locales.

Un an après la libération d’Aung San Suu Kyi et la tenue d’élections inaugurant  la « démocratie disciplinée » dirigée par un gouvernement civil et militaire, les observateurs restent divisés sur la signification des récents développements au Myanmar. Après 50 ans de règne autocratique, il s’agit bien de parler d’avancées devant les gestes d’ouverture en direction de l’opposition, la libération de prisonniers d’opinion et le retour de quelques dissidents exilés.

D’autres évolutions doivent être soulignées, comme la mise en place d’une commission des droits de l’Homme, la loi sur le travail autorisant la formation de syndicats et le droit de grève, ou l’assouplissement de la censure sur les médias. Ces nouveautés ont entrainé un été de rencontres soigneusement chorégraphiées de diplomates occidentaux et d’envoyés spéciaux, venant apprécier si cette transformation inaugurait de vrais changements politiques et économiques. La saison s’est conclue par la décision de confier en 2014 la présidence de l’ASEAN ( l’Association des nations de l’Asie du sud-est) à la Birmanie, consacrant ainsi le retour de l’ancien régime militaire sur la scène diplomatique régionale. Reste la menace qui plane sur le « pays merveilleux » d’une commission internationale d’enquêtes sur les crimes présumés contre l’humanité et crimes de guerre perpétrés en Birmanie.

Un pays démuni

Cependant, la Birmanie reste l’un des pays les plus pauvres d’Asie du Sud-est. Les indicateurs de santé publique contribuent à la classer dans les pays les plus pauvres – 149ème sur 187 à l’indice de développement humain. L’une des priorités du nouveau gouvernement doit donc être l’amélioration des conditions de vie des personnes les plus démunies. Parmi celles-ci, les personnes vivant avec le VIH. L’accès aux traitements est très insuffisant et la prévalence du VIH est particulièrement élevée parmi les populations dites à risques: travailleuses du sexe ou usagers de drogues par injection, touchés à 35% par l’épidémie.

Médecins du Monde intervient auprès des usagers de drogues du Kachin, au nord de la Birmanie, depuis 1994 avec un programme de réduction des risques liés à l’injection. Une expérience qui a tissé de nombreux liens avec les acteurs de la société civile, au travers de sessions d’information sur le VIH/sida dans les communautés villageoises, les universités, les postes de police et les prisons. Un projet qui intègre également un plaidoyer pour les droits de ces populations stigmatisées.

L’importance des organisations locales

La région du Kachin fait aussi partie des zones frontalières de la Chine où vivent des minorités ethniques qui contestent le pouvoir central. L’armée régulière cherche à étendre stratégiquement son contrôle sur les routes commerciales et les populations civiles. Les minorités ethniques et leurs groupes armés font donc depuis quelques mois l’objet de déplacements massifs et forcés. Dans cette région, nous avons pu constater que l’aide aux milliers de déplacés internes a été largement organisée par les acteurs locaux, organisations de femmes, mouvements religieux et acteurs non gouvernementaux. En effet, de nombreuses organisations non gouvernementales de petite taille ont été créées depuis une vingtaine d’années et constituent le principal vecteur d’acheminement de l’aide vers les déplacés internes. Il est donc nécessaire de travailler avec le souci permanent de soutenir ces structures locales, engagées dans un large éventail d’activités sociales, et avec la conviction que le changement s’opère aussi grâce à la mobilisation de ces petites associations. Un constat que nous dressons également dans la région de Pyapon, dévastée en mai 2008 par le cyclone Nargis. Une région où la population et les associations locales ont fait preuve d’une mobilisation sans précédent en faveur des sinistrés.

En complément de la politique de transition en Birmanie, ces mobilisations locales méritent donc d’être mieux connues et soutenues car elles témoignent de la profondeur des aspirations du peuple birman. Au-delà de la figure emblématique d’Aung San Su Kyi et de ses messages répétés en faveur de plus de liberté et de démocratie, il convient d’être très attentif aux initiatives portées par ceux qui ne bénéficient pas des feux des projecteurs.

Françoise Sivignon, co-responsable du programme Birmanie de Médecins du Monde et Olivier Bernard, président de Médecins du Monde

Photo: Frontière entre la Birmanie et la Thaïlande Flickr / Benoit Mahe

1 réflexion sur « Au-delà d’Aung San Suu Kyi… »

  1. Il est un peu dommage que, pour illustrer cet article, ce soit une photo de gamines Padang qui ait été choisie, alors que cette population n’a rien à voir avec les Kachin que visite Médecins du Monde.
    Les Padang font partie des Karenni (ou Karen rouges) dont l’état Kayah, au nord de l’Etat Karen, lutte depuis des dizaines d’années pour son indépendance.
    C’est un état au sud des Etats Shan et Kachin.
    Sa capitale, Loïkaw, est occupée par l’armée Birmane.
    La différence avec les Karen est que ces derniers sont chrétiens et que les Kayah sont animistes.
    Les femmes Padaung portent traditionnellement des colliers de cuivre qui font la joie des touristes dans les villages contrôlés par la junte birmane.
    Ces colliers sont posés dès l’enfance (voir la photo) et on les allonge en rajoutant des anneaux au fil du temps. Les femmes âgées ont donc des colliers très hauts qui se substituent à leur colonne vertébrale et qu’elles ne peuvent plus enlever. On les appelle communément des « femmes-girafe ». Il n’en reste plus beaucoup… On a dit parfois aussi que lorsque les femmes Padaung étaient répudiées, l’homme leur enlevait leurs anneaux les condamnant à une mort certaine.
    J’ajoute que si une démocratie relative venait à irriguer la Birmanie, elle concernerait
    surtout dans un premier temps la plaine de l’Irrawady, mais que les 2/3 du pays sont des zones périphériques rebelles, sans cesse attaquées par la junte. Aucun début de démocratie ne pourra faire l’économie de ces zones de combat, dont les peuples, issus des hauts plateaux tibétains, n’ont que peu à voir, linguistiquement et culturellement avec les populations du centre de la Birmanie…
    Mais bravo à MDM de s’intéresser aux Kachin et d’aller les soigner…

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