« A Calais, on traite les migrants comme des chiens

L’Humanité.
Jean-François Corty, directeur des missions France de Médecins du Monde revient de Calais où il a pu constater une situation sanitaire alarmante, aggravée par une traque policière sans relâche. Il dénonce l’inhumanité et l’incohérence de la politique migratoire française, notamment envers des personnes fuyant des pays en guerre.

De retour de Calais où des équipes de Médecin du Monde continuent, dans des conditions rendues très difficiles par la présence policière massive et celle de jeunes du groupuscule d’extrême droite « sauvons Calais », leur travail d’accompagnement auprès des migrants en cours d’expulsion, Jean François Corty, directeur des missions France de Médecins du Monde nous livre son analyse de la situation et nous dis sont indignation face à la politique de l’Etat français qui se disait prêt à bombarder Damas pour sauver les civils mais mobilise les CRS contre les réfugiés syriens à Calais.

Humanite.fr : Pouvez-vous nous faire un rapide état des lieux de la situation des migrants de Calais ?

Jean-François Corty : On assiste à une montée en pression dans le calaisis depuis ces 3  derniers mois à cause d’une recrudescence d’arrivée de migrants en provenance de Syrie, à cause de la guerre et d’Erythrée, à cause de la recrudescence des combats au sud Soudan où de nombreux Érythréens sont refugiés. Plus de 7 jeunes ont trouvé la mort depuis le début de l’année notamment en chutant des camions dans lesquels ils s’étaient introduits pour tenter de rejoindre l’Angleterre. La situation est tellement tendue à Calais que les migrants prennent des risques inconsidérés pour traverser la Manche.

Humanite.fr : On parle beaucoup de la galle qui toucherait plus d’une centaine de migrants, qu’en est-il ?

Jean-François Corty : Il y a effectivement  une épidémie de galle depuis trois semaines au sujet de laquelle Médecin du Monde a alerté les autorités afin qu’un traitement et une prise en charge soit apportée aux malade. Il y avait déjà eu une épidémie de galle à Calais en 2009, à la suite de quoi nous avions demandé de meilleures conditions sanitaires,  à savoir des latrines, des points d’eau, etc. Rien de cela n’a été fait. C’est donc logique que cela recommence ! La semaine dernière nous avons fermement condamné le fait que l’annonce d’une prise en charge des personnes atteintes de la galle ait été combinée avec une opération d’expulsion et de violence. Nous avons constaté d’emblée qu’il n’y avait pas d’objectif bienveillant concernant la prise en charge médicale et qu’il était clairement la destruction des campements sans alternatives de relogement. Or on sait que pour une prise en charge correcte et efficace des personnes atteinte de la galle, il faut un protocole complet associant l’administration de comprimés aux personnes atteintes et aussi à celles ayant été au contact de malades, la prise de douches et la fourniture de vêtements propres. Surtout il faut que les personnes traitées puissent se reposer pour que les médicaments puissent agir. Il faut également que l’on puisse faire un suivi quelques jours après…. Le fait d’annoncer la distribution de médicaments le même jour que l’expulsion, qui en en réalité a été pratiquée à quelques heures de décalage, voue à l’échec la prise en charge médicale puisque cela crée une défiance chez les migrants dont une grande partie cherche à fuir pour échapper à la police et du coup, ne prendra pas le traitement. Par manque d’explication, certains ont également refusé de prendre un médicament dont ils ne comprenaient pas à quoi il servait.

Humanite.fr : Est-ce que Médecin du Monde a tenté d’informer les migrants sur le protocole qui leur était proposé ?

Jean-François Corty : Nous n’avons pas souhaité nous associer à ces opérations annoncées par la préfecture car nous en dénonçons l’incohérence et la contradiction qui existe entre la santé publique et le principe sécuritaire. Nous ne voulions pas cautionner ce qui se fait actuellement !

Humanite.fr : Comment cela s’est passé concrètement ?

Jean-François Corty. Hier soir, on a vu débarquer quelques personnes de la permanence d’accès aux soins de santé (PASS) avec deux tables et quelques comprimés. Elles se sont installées au milieu de l’endroit de la distribution des repas… Quelques migrants ont pris le comprimé, mais pas la majorité. Très peu d’explication ont été données, donc, très logiquement les malades n’ont pas adhéré au traitement. Tout cela relève d’un total amateurisme ! Ce matin, on a vu débarquer des CRS en nombre conséquent… Il y avait aussi des bus, sensés amener les migrants vers des douches. Mais ils n’ont pas voulu monter dedans par peur d’être arrêtés, conduits en centre de rétention et expulsés. A l’heure actuelle la situation est très confuse, des négociations sont en cours pour tenter de trouver des solutions pour un éventuel relogement… Ce qui est dramatique c’est la présence sur place de jeunes du groupe extrémiste « Sauvons Calais » qui attisent la haine et les violences. Ils se positionnent face aux médias présents pour expliquer aux journalistes qu’il faut détruire ces campements… C’est très confus, cela pourrait vite mal tourner, et on tente d’être vigilant.

Humanite.fr : Que peut faire Médecin du Monde face à une telle situation ?

Jean-François Corty : Nous somme présents et en fonction de l’évolution des choses, on est prête à proposer des « solutions de survie ». Si les abris sont détruits, on va distribuer des tentes, des jerricans d’eau potable et des sacs de couchage pour les migrants là où ils seront, si on arrive à les trouver car ils risquent de fuir un peu dans tous les sens.

Humanité.fr :Y-a-t-il un accompagnement sur place pour l’accès des migrants à leurs droits ?

Jean-François Corty. La situation est très compliquée car les représentants des associations sont bien trop peu nombreux pour faire face à cette situation : 500 migrants, parmi lesquels des femmes, des enfants, des mineurs isolés, des demandeurs d’asile etc… Chaque cas est particulier et il est actuellement impossible de répondre à chaque situation. Il faudrait d’abord que le calme revienne, que la police parte pour que l’on puisse étudier les droits de chacun. On ne peut pas combiner une ouverture de droits, notamment pour les mineurs isolés comme cela a été annoncé, avec une expulsion concomitante par les CRS. C’est une vaste plaisanterie ! Tout est fait pour que la seule issue offerte soit l’expulsion.

Humanite.fr : Quel est votre analyse de l’annonce de la destruction des camps des migrants, ainsi que de ceux de Roms en région parisienne hier, dans le contexte post électoral que l’on connait ?

Jean François Corty : Pour ce qui est de Calais, combiner un temps de soin et un temps d’expulsion est une faute morale. Cela indique que la santé est secondaire par rapport à de pseudo exigences sécuritaires. La destruction des camps de Calais, comme celle des bidonvilles est une sorte de « vitrine » pour démontrer la vigueur de la politique migratoire française, notamment dans sa capacité à créer les conditions de dissuasion des sans papiers. En la matière on est sur la même ligne quelques soient les gouvernements qui se succèdent…. On assume d’utiliser la violence comme un outil de gestion de la politique migratoire, avec l’argument sanitaire pour cache sexe. La méthode est simple, on crée les conditions pour les gens là où ils s’installent vivent dans des conditions ignobles, sans douches, sans bennes à ordure…. De manière à ce que le terrain deviennent complètement pourri et qu’il devienne légitime pour les municipalités de produire un arrêté d’expulsion pour « grand péril »…. On est face à une gestion à la petite journée de la grande précarité en France. On ne traite pas les problèmes, on fait de la communication, au péril de la vie d’hommes de femmes et d’enfants. C’est particulièrement inquiétant quant à l’état de notre démocratie. Il n’y a pas de solution miracle, car il y a effectivement une crise du logement, mais on peut au moins apporter un minimum vital pour éviter le pire. Pour ce qui concerne le calaisis, la situation internationale fait que l’afflux de migrants va continuer. Les Syriens qui crèvent sous les bombes n’ont pas d’autre alternative que de chercher un avenir en Europe. Il y a une totale incohérence entre le discours du président Hollande qui, dans le champ des relations internationales, exprime une légitime bienveillance vis à vis civils syriens victime de la guerre et le fait que, sur le territoire français, on les traite comme des chiens !

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